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Susceptible d’accueillir une population de tous âges et de toutes les classes sociales, la piscine est incontestablement l’équipement sportif le plus sollicité par les évolutions de la demande sociale en terme d’activité physique et sportive (APS). Ainsi, aux fonctions traditionnelles et incontournables du sport de compétition, s’ajoutent désormais celles des pratiques de loisirs, des activités de bien-être et du développement du sport d’entretien. Par ailleurs, les collectivités territoriales ont été historiquement à l’origine du développement des politiques sportives en France en répondant essentiellement aux besoins scolaires en équipements sportifs, notamment des gymnases, afin d’accompagner l’émergence de l’éducation physique comme composante à part entière de l’enseignement obligatoire, notamment sous la IIIe République [1]. Paradoxalement, l’éducation physique a été obligatoire à l’école (1869) avant même que l’école ne soit rendue obligatoire (1882)… [2]. En outre, si le développement de la gymnastique publique s’est traduit par une croissance d’installations sportives prévues à cet effet, la construction des piscines est plus tardive et la France accuse un retard considérable dans ce domaine par rapport à ses voisins [3]. 

Dès lors, le gouvernement du Front Populaire (1936 – 1938) amorce une démocratisation des loisirs et du sport, notamment au travers d’une série de réformes sociales. En rupture avec les méthodes d’enrégimentement qui prévalaient, un sous-secrétariat d’État à l’organisation des loisirs et sports est mis en place, dès 1936, et confié à Léo Lagrange. Cette massification des loisirs sportifs, et en particulier de la natation, s’intensifie après-guerre, grâce à la mise en place d’une véritable politique d’Etat en faveur du développement de la pratique sportive, impulsée par Maurice Herzog qui vise à combler le déficit en matière d’équipements de proximité, notamment à destination de la jeunesse très fortement touchée par les conséquences de l’Occupation [4]. Mais face aux priorités de la reconstruction (industrie, logements, transports…), peu d’équipements sportifs sont construits dans un premier temps. A défaut d’infrastructures disponibles, la mise en place d’un « Comité national du plein air » [5], pour la promotion des activités de pleine nature et le développement des institutions de plein air (colonies de vacances…), contribue à populariser les activités physiques, dont bénéficient les mouvements de jeunesse et d’éducation populaire comme le scoutisme [6]. Mais en 1958, plus de la moitié des départements français (58 sur 94) ne possèdent toujours pas de piscine couverte, 13 n’ont pas de salle de sport et enfin 11 n’ont pas de stade (Falcoz et Chifflet, 1998).

C’est pourquoi, entre 1961 et 1976, trois lois-programmes relatives aux équipements sportifs et socioéducatifs vont être votées et appliquées. Au travers de ces lois, ce sont six plans d’investissement qui vont se succéder et rafraîchir le paysage sportif français en terme d’infrastructures [7] permettant ainsi de créer, entre autres, un maillage de piscines publiques praticables en toutes saisons sur l’ensemble du territoire national pour que soit enfin mis en application l’apprentissage de la natation à l’école, théoriquement obligatoire depuis 1879 [8].
 
Une commission spéciale d’agrément est ainsi mise en place entre 1963 et 1971 afin de proposer aux collectivités des modèles de piscines variées et conformes aux caractéristiques définies par l’Etat, livrables clefs en mains et ayant des prix fixes. Cette procédure de normalisation devait ainsi garantir la qualité des équipements construits en France ainsi qu’une plus grande rapidité de réalisation. Toutefois, il faut attendre 1969 afin que les premiers projets-types soient validés par la commission, notamment dans le cadre du programme pluriannuel dite opération des « 1000 piscines » qui prévoit la réalisation prioritaire d’un millier de piscines en quatre ans (1972-1976) dont 850 industrialisées et 150 destinées à la compétition; l’Etat assurant la maîtrise d’ouvrage et livrant la piscine clés en main, la commune apportant le terrain, exécutant les travaux d’aménagement des abords et participant à la construction par le paiement d’un fonds de concours. Dans ce contexte, deux concours d’idée sont organisés pour la construction de piscines transformables et économiques, respectivement en 1969 et 1971, permettant ainsi de retenir 5 modèles de piscines économiques sous les noms de Caneton, Iris, Plein Ciel, Plein Soleil et Tournesol.
 
Les mauvais résultats français en natation aux jeux olympiques de 1968 de Mexico mais surtout la noyade de 150 personnes, dont une majorité d’enfants, suite au naufrage d’un bateau de plaisance sur le lac Léman à l’été 1968, poussent l’Etat à renforcer l’implantation de piscines publiques, en particulier dans les petites et moyennes communes, ou les quartiers populaires. Ainsi, de 1973 à 1981, 196 piscines de type « Caneton », du cabinet d’architectes d’Alain Charvier, Jean-Paul Aigrot, Franc Charras, ont été construites sur l’ensemble du territoire. En parallèle, 95 bassins d’apprentissage mobiles – petites piscines démontables – permirent d’initier à la natation environ 90 000 enfants dans près de 180 communes. Ces piscines industrialisées ont permis de doubler la surface des plans d’eau existant en 1970.
 
Mais au début des années 1980, les difficultés économiques et la montée du chômage vont contrarier cet élan novateur. Dès lors, et dans le cadre de la décentralisation, initiée en 1983, l’implication financière des collectivités locales prend peu à peu le pas sur celle de l’état. Les collectivités n’ont cessé depuis de développer leurs actions en ce domaine en mobilisant des moyens importants, tant humains que financiers. Propriétaires de 90 % du patrimoine sportif, elles assument dorénavant 94% de la totalité du financement public accordé au sport. Par ailleurs, 80% des bassins appartiennent aujourd’hui à une collectivité locale.
 
Trente ans après leur installation, les piscines de type « caneton » subissent l’usure du temps occasionnant ainsi des désordres répétitifs, concernant notamment la toiture et son étanchéité, aggravés par la modification, à la suite de la crise de l’énergie, des conditions thermiques d’utilisation. Devant l’ampleur des besoins et afin, d’une part, de préserver ce patrimoine sportif important et, d’autre part, de favoriser son amélioration éventuelle sur le plan du confort de l’usager et du coût d’exploitation, il devient indispensable d’entreprendre une étude technique approfondie et ainsi d’engager les travaux de réhabilitation qui s’imposent en partageant l’expérience de maires concernés, regroupés depuis 1983 au sein de l’Association des gestionnaires de piscines Caneton (A.G.E.P.I.C.) [9]. Conçue pour une exploitation de 20 ans dans le cadre du plan « mille piscines », la piscine Caneton doit faire l’objet d’importants travaux de réhabilitation pour être maintenue en service.
 
 

La piscine Caneton constitue un témoin particulièrement précieux de l’émergence de la natation comme discipline sportive et activité de loisir et de bien-être pour des générations entières.

Association Saint-Maur Avec Vous, 2022

 
 
Sources :
 
[1] Patrick Bayeux, Le sport et les collectivités territoriales. PUF, 2013
 
[2] Terret Thierry, Histoire de l’enseignement de la natation. Les Cahiers de l’INSEP, 1999
 
[3] D’après Le Figaro du 10 octobre 1922, la Fédération Française de Natation et de Sauvetage (FFNS) recense 22 piscines, quand l’Allemagne en possède alors 1362 et l’Angleterre 806…
 
[4] Docteur Philippe Encausse, Éducation physique et sous-alimentation. Influence de l’Éducation Physique et Sportive sur la Jeunesse en fonction de l’alimentation actuelle. Éditions Henri Dangles, Paris, 1944.
 
[5] Le « plein-air » au sens sportif du terme apparait dès 1887 dans le titre d’un ouvrage de Gilles de Saint-Clair intitulé Jeux et exercices en plein air
 
[6] Élise Nale, L’État et architecture. Le cas des piscines publiques construites en France (1961-1976) , dans Éléonore Marantz (dir.), L’Atelier de la recherche. Annales d’histoire de l’architecture, actes de la journée des jeunes chercheurs en histoire de l’architecture du 22 octobre 2015, Paris, site de l’HiCSA, p. 48-64
 
[7] Outre ces infrastructures de « base », des équipements sont également aménagés pour la jeunesse (auberges, centres d’accueil,…) ou pour l’ensemble de la population mais sans être exclusivement réservés à la pratique sportive (base ou aire de loisirs par exemple).
 
[8] L’apprentissage de la natation est devenu obligatoire par décret du 24 juin 1879.
 
[9] Dossier sur les piscines Caneton, Sénat.

MIHAI GUYARD

28 ans, universitaire et engagé pour ma ville. Colistier aux Municipales 2020 avec Ensemble, Préservons Saint-Maur. Président de l'association Saint-Maur Avec Vous