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Depuis bientôt deux décennies, les références à la « ville durable » se sont multipliées au sein des villes européennes et ont contribué à diffuser de nombreux principes dans les politiques urbaines – dans les politiques urbaines (Haughton et Hunter, 1994 ; Da Cunha et al., 2005 ; Mathieu et Guermond, 2005). Rares sont les villes qui font désormais l’économie d’un investissement (au moins rhétorique) dans des démarches de durabilité. Au-delà de l’uniformité des labels et slogans, une profonde hétérogénéité des pratiques persiste dans les programmes d’action, les contenus des politiques urbaines et surtout les formes de gouvernance se revendiquant de la ville durable (Krueger et Gibbs, 2007 ; Béal et al., 2011).  [1]
Dès lors, le terme d’éco-quartier est aujourd’hui largement utilisé par les professionnels de l’urbanisme comme par la presse et se trouve souvent utilisé comme synonyme de quartier durable désignant des projets d’urbanisme ayant des objectifs environnementaux, sociaux et économiques ambitieux qui se multiplient en France depuis quelques années. Toutefois, dans la pratique, ces nouveaux morceaux de ville sont loin de faire l’unanimité. En effet, les limites sont floues entre opérations marketings, microréalisations ou projets véritablement remarquables. Reconnaissons au moins à cette ébullition le mérite d’engendrer l’émulation indispensable à l’actuelle transition urbaine qui applique au bâti les principes d’un développement plus raisonné. Au travers du concept d’éco-quartier, une nouvelle conception de l’aménagement et du vivre ensemble souffle sur les espaces urbains mais qui n’est pas sans poser de questions sur le devenir des stratégies de développement urbain durable. [2]
Ces projets sont-ils susceptibles à eux-seuls de permettre une adaptation des villes aux nouvelles logiques économiques et écologiques ?
Quelles places les habitants occupent-ils dans la conception de ces quartiers et à qui, ces derniers, sont-ils prioritairement destinés ?
Que seront devenus en 2030, 2040 les éco-quartiers ? Maintiendront-ils leurs objectifs technico-économico-sociaux sur un temps long ? 
Depuis le début des années 2000, la floraison d’opérations qualifiées d’éco-quartiers partout en France et en Europe témoigne du fait que le développement urbain durable s’imprègne des nouvelles techniques de construction et appliquent à des degrés divers des prescriptions environnementales et sociales repensées (pourcentage de logements sociaux, lieux de rencontre, efficacité des vitrages, efficacité énergétique etc..). L’objectif premier étant de faire en sorte de créer un quartier extraordinaire pour le temps présent et ordinaire pour les temps futurs. Ainsi, le terme en lui-même, dans un contexte purement politique et reposant sur le marketing, s’il n’est pas totalement devenu galvaudé dans les années à venir comme nous pourrions être en droit de le penser, présente des qualités communicationnelles évidentes.
A défaut d’un consensus précis sur les interprétations à lui donner, ce terme semble traduire à lui-seul les grandes orientations que la ville doit prendre pour moins impacter son environnement. Dépourvu d’une définition stricte, ce mot possède des propriétés plastiques, chacun pouvant l’ajuster selon ses aspirations. Par ailleurs, si nous sommes en mesure de produire le « bien construire », en revanche le « bien vivre » et le « vivre équitable » peinent à se concrétiser sur la durée et à se diffuser (Benoît Boutaud, 2009). Par ailleurs, une confusion est apparue entre, d’une part, l’instrument de la ville durable, et d’autre part, l’objectif d’épanouissement dans la durée de la ville et de son constituant historique, le quartier. Il existe donc un risque réel de voir se construire « une ville dans la ville » inattentive aux transformations écologiques plus profondes qui seraient nécessaires à l’échelle de l’ensemble du territoire [3]. Enfin, le volet social constitue le parent pauvre de ces projets urbains qui peuvent s’expliquer par deux raisons majeurs : Premièrement, depuis le début des années 1990, les aides publiques sont très majoritairement orientées vers la question énergétique et climatique. Les innovations sociales, elles, n’ouvrent droit à presque aucune subvention (Emelianoff cité par Lemonier, 2008). Deuxièmement, ce type de projet urbain fonctionne sur la base de partenariats avec le privé ce qui implique des garanties suffisantes de rentabilité (Pinson, 2004). En insistant sur la nécessité de rendre les centres-villes denses et attractifs, de développer un niveau élevé d’aménités urbaines et environnementales et de renforcer la qualité de vie, ces nouvelles politiques urbaines ont accompagné la montée en puissance du discours sur la ville durable. À l’inverse, elles font également courir le risque d’une instrumentalisation de ce discours à des fins uniques de compétitivité urbaine (Béal, 2009).

Finalement, il reste délicat d’estimer la contribution d’un éco-quartier à la ville durable. Un projet séduisant à une échelle micrologique (le quartier) peut s’avérer problématique à l’échelle macrologique (l’agglomération). Ainsi, les Éco-Quartiers sont aussi producteurs d’externalités négatives (augmentation du trafic et du stationnement…) et contribuent à une augmentation de la pression foncière et immobilière. Par ailleurs, ils sont suspectés de participer à la gentrification puisqu’à l’opposé d’une certaine doxa voulant que ces derniers constituent le sésame d’une lutte contre l’étalement, il faut rappeler l’impact marginal et à très court terme qu’ils ont en la matière. En effet, ces nouveaux quartiers, lorsqu’ils ne sont pas purement et simplement construits en zone agricole, prennent généralement place sur les tout derniers espaces intra-urbains non encore – ou peu – bâtis (Yves Bonard and Laurent Matthey, 2010).

 

Les limites sont floues entre opérations marketings, microréalisations ou projets véritablement remarquables. Il existe donc un risque réel de voir se construire « une ville dans la ville ».

Association Saint-Maur Avec Vous, 2021

 

Sources :

[1] Béal Vincent, Florian Charvolin, et Christelle Morel Journel. « La ville durable au risque des écoquartiers. Réflexions autour du projet New Islington à Manchester », Espaces et sociétés, vol. 147, no. 4, 2011, pp. 77-97.

[2] Benoît Boutaud, « Quartier durable ou éco-quartier ? », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Débats, Quartier durable ou éco-quartier ?, mis en ligne le 24 septembre 2009.

[3] Yves Bonard et Laurent Matthey, « Les éco-quartiers : laboratoires de la ville durable », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Current issues, Quartier durable ou éco-quartier ?, mis en ligne le 9 juillet 2010.

MIHAI GUYARD

28 ans, universitaire et engagé pour ma ville. Colistier aux Municipales 2020 avec Ensemble, Préservons Saint-Maur. Président de l'association Saint-Maur Avec Vous